Salvatore Giunta & Anthony Calone

Salvatore Giunta

BE  40 ans

Anthony Calone

FR  38 ans
Anthony: moi, je suis le cerveau et les pieds. C'est un peu moi qui réfléchis aux trajets réalisables. Passionné d'histoire et de geographie, j'aime comprendre et expliquer les endroits que nous foulons. Salvatore: moi je suis le coeur et les yeux. Passionné par la culture et la photographie. Je suis un peu plus suiveur et j'aime rester en contemplation devant les paysages naturels, ou bien prendre en photo les personnes dans la rue. J'aime être ému sans comprendre pourquoi.

City-trip au pays de Dracula (2017)

Février 2017

J’écris longuement sur mes voyages. J’essaie d’abord de me contenir et puis, bon, ça me fait plaisir de le faire. Alors, je me fais du bien et je le partage. Finalement, peut-être que cela pourra plaire à quelques uns, ou donner du sens à certaines de mes photos. Et puis si ce long texte ne trouve pas de lecteurs, les photos ont pour moi ce pouvoir de raconter aussi une histoire. Voilà pourquoi sans prétention de me « noyer » dans un long récit, mettre des mots et partager ce que je trouve beau. Et pour les courageux, bonne lecture! Bucarest ou la « Nostalgie des jours anciens ». Voilà ce qui me vient à l’esprit quand je repense à la capitale Roumaine. Vous voyez, celle qu’on confond toujours avec la Hongroise (Budapest) et qui finalement n’est pas si importante que ça quand on doit apprendre l’histoire de la France et des guerres. Et puis encore moins importante que ça quand on planifie de partir en vacances en city trip. Dans un pays chaud de préférence ? Je l’accorde, Bucarest sonne un peu réponse de Trivial Poursuite. Alors, oui, je l’avoue, c’est plutôt l’offre alléchante d’aller vers un pays qui m’était inconnu jusqu’alors qui m’a poussé à réserver les billets. Il m’a fallu 7 mois pour finaliser mon petit album photos et pour cause, je voulais me faire plaisir en rendant aux Roumains la beauté qui ressortait de leur ville oubliée des occidentaux. Notre voyage commençait le 27 février 2017… Le contexte commence sur les chapeaux de roue. 31 janvier 2017 malgré les températures polaires, 200.000 manifestants se réunissaient dans les rues pour la plus grande manifestation anti-gouvernementale depuis la chute du communisme. (info sur https://www.rtbf.be/info/monde/detail_corruption-manifestations-massives-contre-le-gouvernement-roumain?id=9519276) Rappelez-vous, la dernière fois, c’était en 1989, le jour de Noël, qu’ils assassinaient leur tyran Ceausescu et sa femme Elena devant des milliers d’yeux à la fois réjouis de la fin du communisme et effarés par la violence des événements. Autant dire qu’au pays du plus connu des vampires, lorsque le sang coule, il y a de quoi vous glacer… d’effroi. Et pourtant, lors cette manifestation de 2017, très peu relayée par nos médias tournés vers le nouveau président américain, s’écrivait un chapitre d’une histoire d’amour entre les Roumains et la démocratie. 13 jours plus tard, le froid ne se déforce pas et la volonté des amoureux de la liberté non plus. 50 000 manifestants illuminent la place de la Victoire avec leur téléphone portable créant une image impressionnante d’un immense drapeau humain aux couleurs de leur pays. (vidéo: http://www.lemonde.fr/europe/video/2017/02/13/a-bucarest-la-foule-forme-un-drapeau-geant-pour-reclamer-la-demission-du-gouvernement_5079095_3214.html) Une image évocatrices de nos démocraties malades. Nous apprendrons plus tard durant notre voyage que les manifestants se relayaient sur la place de la Victoire et relisaient la constitution. Une belle leçon de devoir démocratique qui nous a particulièrement émus. Je ne suis absolument pas capable d’en faire autant. N’ayant jamais connu la guerre, la misère et la faim, la démocratie me semblait acquise et pourtant, je la vois péricliter tout autour de moi… étrange sentiment de désemparement. 27 février, c’est le jour du départ. Le projet de loi visant à gracier certains condamnés pour corruption est retardé, les manifestants se font moins nombreux, nous sommes pris en étaux entre l’envie d’assister à un événement historique et la crainte d’être pris dans un tourbillon de personnes qui profitent de la situation. Mais la première image de Bucarest est celle d’une ville calme. Quelques coups de klaxons de taxi qui râlent sur la camionnette en double file, une voiture qui se refuse de démarrer au feu vert… un brouhaha de ville normale. Depuis quelques jours, le froid s’est adouci et sur les pieds des lampadaires quelques mottes épaisses d’une neige sale rappellent qu’hier encore, la ville en était entièrement recouverte. Les rayons du soleil assurent que les beaux jours sont devant. Le printemps arrivera bientôt. Les rues calment sont propices à la flânerie. Ce qui marquera en premier et qui nous poursuivra durant le séjour est ce contraste entre l’infiniment révolu, le moderne et le rénové chic. Dans les rues aux pavés inégaux, quelques personnes âgées discutent à côté d’un bâtiment à la façade néo-classique et au toit de zinc. On se croirait à Paris. Bucarest voudrait tellement ressembler à sa cousine française qu’en plissant les yeux ont pourrait voir traverser une dame en jupe culotte s’arrêter devant une calèche traversant un boulevard haussemanien. Son destin en a voulu autrement et va l’éloigner de sa cousine pour l’emmener dans le tourbillon de la folie du XXième siècle. Comme si chaque bâtiment tenait à raconter son histoire. Une révolution. Un tremblement de terre. Un incendie. Bucarest se raconte avec l’imagination… peut-être que les fantômes y sont toujours présents. Dans une ruelle, une vieille maison cossue nous plonge dans la nostalgie d’une époque où une jeune fille de bonne famille vêtue en robe blanche sortait par la porte aux carreaux colorés, pour aller à son cours de piano. Aujourd’hui, de ce souvenir inventé, il ne reste que des verres brisés et un vieux personnage mythique en stuc fatigué de porter un balcon envahi par les lierres jadis verts. Et bizarrement… alors que cela pourrait se révéler comme ennuyeux et triste à périr, la magie opère. La ville n’est pas morte. Elle cohabite avec les fantômes de son passé. C’est là que réside une beauté particulière. Celle de ces bâtiments à l’abandon que certains photographes cherchent pour donner de beaux clichés. Contrairement à Berlin où finalement les boutiques de luxe et les galeries d’art ont réussi à effacer les preuves d’un passé trouble, la situation de Bucarest est différente. C’est là où un vieux bâtiment presque effondré vient raconter les escarres de son passé et vient hanter la façade nouvellement sablée qui se tient pimpante à ses côtés c’est ici que tout commence. En se laissant imprégner de ce sentiment qui nous traverse tous de temps en temps: « la nostalgie des jours anciens. » Et les souvenirs, même les moches, sont parfois palpables. Là, au loin, en longeant cette artère infinie, au bout du boulevard Unirii, l’immense palais de Ceausescu qui, à mesure de s’en approcher, semble s’éloigner. L’aura de ce magma de béton est impressionnante. On imagine avec un frisson glauque le sentiment d’être observé par la Securitate. Des secrets gardés dans le dédales du supposé labyrinthe qu’abrite le sous-sol du parlement. Je repense alors à ces gens qui ont manifesté place de la Victoire sous leur drapeau et à ce livre que je lisais un an auparavant de Lola Lafon. Comme tous les pays anciennement communistes, divisés aujourd’hui entre une haine contre la corruption politique pro-libérale et un amour de moins en moins caché pour l’époque communiste. Et plus je regarde ce mastodonte architectural visible depuis l’espace, plus je repense à ces quelques phrases: « Je ne suis pas partie en vacances depuis six ans ! Mais parents eux, sous Ceausescu, allaient à la mer et à la montagne, restaurant, au concert, au cirque, au cinéma, au théâtre ! Tout le monde gagnait plus ou moins la même chose, les prix n’augmentaient presque pas ! Ils avaient constamment peur, c'est vrai, peur qu'on ne les entende dire des choses interdites, aujourd'hui, on peut tout dire, félicitations, seulement personne ne nous entend… avant on avait pas l'autorisation de sortir de Roumanie, mais aujourd'hui personne n'a les moyens de quitter le pays… Ah, la censure politique est terminée mais, pas de soucis elle a été remplacée par la censure économique ! Avec ce régime pseudo libérale qui fait mine de cajoler tandis qu'il empoisonne, on l’ingère parce qu'il n'a pas tout à fait le goût de l’ennemi, on finit par y croire, et à la fin dans quel état ça vous laisse? Vidée! Le communisme a détruit le pays ? Mais aujourd'hui, des sociétés canadiennes chassent les habitants de leur village et s'apprêtent à faire exploser une montagne pour explorer les gisements de gaz de schiste, avec la bénédiction du gouvernement roumain, un sacré contrat ! Ceausecu a démoli la ville, disent nos parents ? Mais cette nuit, à 4h du matin parce qu'ils craignent les opposants, les promoteurs ont fait tomber une ancienne hall, un lieu historique de Bucarest… Pour le remplacer par quoi ? Un supermarché ou des bureaux. C'est quoi votre modèle ? Crever de faim dans la rue ou mourir de solitude dans son appartement ? L’ennui à crédit ? Parvenir-réussir-arriver ? Où ça ? ?! » (Lola Lafon (2014) La petite Communiste qui ne souriait jamais, Paris: Babel, p. 255) Nous quittons donc le palais hideux mais non moins impressionnant. En suivant les innombrables fils électriques suspendus, nos pas nous mènent vers un tout autre Bucarest. Dans les trams, nous remarquons que les gens se signent. Le geste nous amuse, puis nous perturbe et fini par nous inquiéter. Puis, nous faisons vite la corrélation avec les églises qui abondent dans tous les coins de rues. Là où les Roumains se sont débarrassés de l’omnipotence communiste, vient souffler le pouvoir de la religion orthodoxe. La richesse et la beauté des temples contrastent avec les maisons vétustes. Dorures, image d’un Christ martyr, encensoir en or suspendu et magnifique tapis rouge dans une église sans fenêtre… voilà le décor impressionnant des églises de Bucarest. Là où de simples touristes dégainent l’appareil photo, les quelques lumières filtrées imposent un silence et un respect à la prière. Quelques femmes coiffées d’un simple châle s’agenouillent avec dévotion, le front collé contre une image dorée. Elles murmurent à leur saint de leur venir en aide et le spectacle est tellement impressionnant que l’on croirait presque être les visiteurs indiscrets d’une conversation à laquelle nous n’avons pas été invités. A la fois amusé par la scène fanatique et impressionné par tant de ferveur à l’ouvrage, nous obtempérons pour un repli dans une discrétion absolue. Mais Bucarest n’est pas une ville triste où l’on s’ennuie. Si on a l’impression de faire un bon dans le passé douloureux des rues surveillées par la Sécuritate, il ne faut pas négliger que dans les bâtiments rénovés et neufs grouille une ville gourmande et festive. Manger est très économique en Roumanie et leur cuisine n’a rien à envier à nos bons restaurants. Les lumières blanches et vives de cette vitrine mettent en avant de succulentes pâtisseries. Là-bas, sont attablés quelques universitaires qui parlent toutes les langues et refont le monde en profitant d’un rayon de soleil chaud tout en buvant un jus d’orange avec du miel. Ou bien prendre l’apéro ou un chocolat chaud dans un bar à chicha sur des sièges en velours rouges le tout dans une galerie aux vitraux dépareillés. Un dernier clin d’oeil à cette charme particulier de la ville. Une ambiance de vieux film policier où vous êtes le héros. Puis soudain, lorsque la ville entre dans l’obscurité, s’éclairent alors les brasseries et les cafés. Les intérieurs rivalisent de chic et de traditionnel. Escalier monumental, rampe en bois sculpté, vitraux magnifiques, comptoir en zinc astiqué. Tel est le décor de la plus ancienne brasserie bucarestoise. Les alambics de cuivre ne cessent de cracher des litres de bière tandis que des danseurs de salon viennent compliquer les parcours des serveurs affairés. Ambiance brûlante et repas traditionnel dans un lieux magique et historique. Plus tard, pour prolonger le plaisir des longues nuits d’hiver, nous sortons siroter un cocktail dans un café au décors de disques en vinyle suspendus dans une ambiance jazzi agréable et détendue. Ainsi est la capitale roumaine. Je crois qu’il était indispensable d’expliquer le contexte pour en arriver à son identité. Une ville déchirée par la nostalgie de sa gloire passée et ses cafés branchés. Une ville si proche de Paris par son influence et si éloigné par son histoire. Des contrastes marquant qui évoquent à la fois la gloire et le désespoir. Cela peut paraître infiniment cliché mais il n’y a de la beauté que dans ce que l’on accepte de voir avec le coeur. Dans le film « american beauty » nous étions émus devant la beauté d’un sac plastique malmené par le vent. On aime les images de la brumeuse et mystérieuse Londres. On se cherche encore à Berlin pour se reconstruire…Bucarest garde un peu de tout ça pour ceux qui veulent y voir quelque chose. Malmenée par l’histoire, secouée par la terre, son cachet particulier réside dans son passé encore présent.