Texte à 4 mains

Le vent souffle sur la région du Karas. Le soleil jaunit les fleurs des kokeeboems et les esprits maléfiques des nuits étoilées rentrent sous les racines profondent. Le souffle piquant du Sud nous gerce les lèvres et assèche notre peau. Dans la cour des géants, les pierres, formées de roches magmatiques, dorment toujours depuis des milions d'années dans un décor qui s'étend jusqu'à l'horizon.



Aujourd'hui nous ne mangerons pas d'asphalte mais de la poussière. Des kilomètres de poussières dans un décor de Western. La route est capricieuse et forme des dunes pareilles à des vagues sur un océan agité. Notre coeur s'emballe à chaque descente et nous ne voyons que le ciel dans les montées. Les canyons profonds nous entourent. Et le bruit du pneu sur la rocaille semble etre le seul bruit qui fende l'horizon à des kilomètres à la ronde. Jute la rocaille. Parfois, nous devons soulever nos lunettes de soleil pour nous assurer qu'elles ne mettent pas un filtre d' embellissement à ce paysage que nous n'avons croisé nulle part ailleurs.

Un déjeuner dans l'immensité de ce grand vide nous entoure de silence. Personne. Pas un seul humain ou une seule voiture croisée pendant plus de deux heures. Nous changeons de conducteur et la route reprend sur des airs de chansons que nous fredonnons. Jusqu'à nous taire. Au loin, le paysage des plateaux gagne jusqu'à l'horizon, jusqu'à nous téléporter sur la planète Mars. Des roches brunes sur une terre rouge, sortent de l'horizon comme un témoignage de plissement millenaire. La sécheresse ne permet plus à aucun buisson de pousser et au loin des monts noirs brisent une ligne d'horizon parfaitement rectiligne. Nous ne nous parlons pas, nous sommes bouche-bée. C'est probablement la plus belle route que nous ayons empruntée depuis le début. Malgré la beauté de ce décor de film, la route devient longue pour atteindre le Fish River Canyon. Le désert nous met à l'épreuve de la fatigue nerveuse... réapprivoiser l'ennui qui se tapit toujours dans le plus inattendu. Une tension palpable. Il est temps de croiser notre point d'arrivée.

Notre campement est des plus rudimentaires. Nous partons découvrir le deuxième plus grand canyon du monde. Une grande ligne droite d'une dizaine de km traverse une plaine noire avant de s'arrêter sur un précipice. Une vue vertigineuse, celle de l'aigle en plein vol, nous coupe le souffle. Une gigantesque fracture fend la terre pour terminer en d'innombrables lacets. La rivière Fish, presque assèchée à cette saison, nous montre son oeuvre réalisée en quelques milliers d'années. Une explication géologique ne retire rien à la poésie des lieux. Anthony imagine sur l'érosion, l' oeuvre du cours d'eau encore jeune et dessiner une large vallée avant de fendre comme une adolescente capricieuse la fracture abrupte. Le vent s'engouffre dans ce canyon créant un son particulier.

Nous plongeons notre regard dans le vide immense avant de retrouver notre campement. En hommes aguerris, nous évitons le bis repetitae de l'expérience du Kalahari. Aussi rapide que l'éclair, nous faisons le feu, le repas et le rangement en moins de temps qu'il ne le faut. Nous profitons de notre instant de repris pour écrire quelques lignes au coin de notre feu qui crépite encore.


Nous lions connaissance avec un couple de Parisiens férus d'astronomie. Nous partageons des expériences avec eux avant qu'il nous partagent leur connaissance du ciel austral. Nous voilà partis le nez dans les étoiles à suivre des doigts et des mots qui dessinent ici un Scorpion, là une théière, jusqu'à nous indiquer la croix du Sud. Mars, Jupiter, Uranus et Vénus se decouvrent sous nos yeux. Nous pouvons enfin participer à leur ballet. Christelle et Fabrice, nos deux professeurs d'astronomie partagent avec plaisir leurs connaissances et leurs yeux scintillent autant que les astres dont ils parlent. Nous les laisserons la tête dans les étoiles car notre circonvolution (pour rester dans le thème) ne devait croiser leur chemin que sur le camp de Hobas. Gageons qu'ils nous aient montré la bonne étoile â suivre pour la suite. 


Salvatore et Anthony