J35 à 38: visite d’une école et du ccf. Fin du voyage.


Au loin une boule orange fluo émerge de la route, nous sommes mardi 7 août et assistons toujours au même magistral lever de soleil. Nous prenons la route vers le sud, laissant Etosha derrière nous. La route vers le sud, c’est celle qui nous mène vers Windhoek. C’est celle qui nous mène à un point de départ. C’est une boucle qui se ferme. Et même si elle n’est pas entièrement finie, elle nous ramène à penser que le voyage touchera bientôt à sa fin. C’était long, certes. Mais c’était bien. Peu à peu, cette fin, s’invite dans nos conversations et se concrétise. Nous regardons la route, propulsé à 120km/h sur une route asphaltée avec encore l’espoir de trouver un léopards se cachant dans les arbres. 


A 10h, nous nous rendons à Otjiwarongo afin de visiter une école maternelle du township. C’est une association française qui paye l’infrastructure et une partie du salaire des enseignantes. Dans la cour où les enfants se poussent sur les pneus suspendus. Nous discutons avec les institutrices. Chaque enfant débarque avec son dialecte: Damara, San, Nama, ... ils doivent apprendre rapidement l’anglais, la langue officielle, et c’est ici que tout commence. 

Après avoir partagé nos deux façons de vivre le même métiers, nous devenons les cibles des espiègleries des enfants. Ils s’agrippent à nos bras, veulent monter sur notre dos, nous demandent à tour de bras nos noms. Puis, nos collègues leur demandent de se ranger afin de chanter plusieurs chansons. Nous sommes un peu gênés mais nous nous y attendions. C’est aussi une manière ici de reconnaître que les rares touristes qui viennent se préoccuper de leur vie, viennent aussi soutenir financièrement leurs besoins. Dans notre cas, il nous aura été recommandé d’offrir de l’électricité. 


Notre visite se prolonge avec Renan, un volontaire français venant faire son service civique ici pendant 8 mois. C’est lui qui gère la bibliothèque et les activités proposées aux enfants. Il aide aussi les institutrices dans les tâches quotidiennes. Anthony l’envie un peu : son service civique s’étant résumé à 2jours où un militaire très armé intellectuellement tentait de le convaincre de la fierté d’être français, la France pouvant faire sauter 7 fois la planète. Les priorités du service de Renan sont d’une toute autre envergure. 


Nous visitons la bibliothèque fortement fréquentée par les enfants. Elle sert aussi de lieux d’activités pédagogiques, de projets, de cinéma, ... un peu le centre de l’activité culturelle du township.


Notre après midi au guest house sera plus reposante. Nous sommes incapables de rester sans rien faire et après 12 minutes à écrire quelques lignes sur Etosha sur un transat, nous voilà à faire connaissance avec le staff. La personne à l’accueil nous confie n’avoir jamais vu Etosha. La discussion s’élance et hop! une Namibienne d’origine allemande, ancienne propriétaire d’un guest house à Swakopmund, s’intègre à notre conversation. Elle nous raconte ses rencontres et nous confie ne pas se sentir allemande et avoir eu, tout au long de sa carrière quelques difficultés avec certains touristes de cette partie de l’Europe. Puis viennent nous rejoindre les propriétaires du lodge. Des Français qui ont décidé de quitter la France du jour au lendemain pour profiter d’une manière de vivre plus douce. Voilà deux ans qu’ils ont quitté avec leur plus jeune enfant une Europe devenue beaucoup trop anxiogènes. Un sentiment que nous partageons souvent tous les deux. Ici la vie leur semble plus apaisée et ils croient en l’avenir de ce jeune Etat. Il fallait oser franchir le cap, ils l’ont fait et ne le regrettent pas. Ils ne se sentent pas enchaînés à leur guest house et comptent bien ne pas répéter le schéma qu’ils ont cherché à fuir. Notre conversation et le calme de nos hôtes apaisent nos pensées pessimistes sur certains discours européens qui quelques fois envahissent nos fils d’actualité facebook. Parfois, il y a des gens au discours nuancé. Et ça fait du bien. Juste du bien. 


Nous quittons notre havre de paix aux mâtines en direction du ccf (centre de conservation des guépards) afin d’assister à leur exercice journalier. Et oui! Un tel animal a besoin de se dépenser, d’autant plus que ce gros chat est le plus rapide du monde. La seule course qu’il poursuit est pour l’instant son extinction. S’il est le plus rapide, il n’est pas le plus fort. Dans la vie sauvage il est menacé par le lion et le léopard qui n’hésitent pas à le chasser par concurrence. Les fermiers quant à eux n’hésitent pas à tirer sur ces fauves afin de protéger leur bétail. A cette injustice s’ajoute celle de devoir chasser de jour pour éviter les représailles des léopards et des lions mais les rend dès lors uniques responsables visibles pour des fermiers non instruits par le mode de vie des animaux. Ils doivent donc endosser les représailles des fermiers qui ne font aucune différence entre un léopard et un guépard. Un guépard est incapable de tuer une vache...

Enfin, leur capacité de courir jusqu’à 112 km/h, les aide forcément à capturer leurs proies, mais cet effort les épuise tellement qu’il doivent se reposer 20minutes laissant leur butin à la mercie des chacals ou les hyènes. 


 Il ne reste plus que 7000 guépards dans le monde entier. La situation pour ce magnifique félin -le plus vieux félin au monde- est dramatique. C’est pour cela que ce centre a ouvert: recueillir les guépards inadaptés à la vie sauvage (orphelins, blessés) et élever des chiens bergers d’Anatolie qu’ils vendent 60€ aux fermiers pour protéger leur bétail. Ainsi ils éduquent la population à vive avec ce magnifique prédateur qui est indispensable à l’écosystème africain. Cela fonctionne. La population de guépards aurait d’ailleurs légèrement augmenté en Namibie au cours des dernières années (pays où ils sont les plus nombreux).


Entrés dans la zone des guépards, nous sommes protégés par une fine barrière d’où nous observons le félin piquant un sprint pour attraper un foulard : comment ne pas penser à nos félins domestiques. L’animal est récompensé pour chaque course réussie. Une manière de le raccrocher à sa vie sauvage, même si ceux-ci ne seront plus aptes à retourner dans la savane. 


Après une bonne centaines de photos à tenter de prendre l’animal en pleine courses, deux assistantes vétérinaires appellent Anthony à venir rencontrer Bella. Un guépard femelle qu’Anthony parraine, recueillie il y a peu par le ccf car elle était en captivité chez un particulier. A notre approche, le félin aux épaules pointues se met à ronronner bruyamment

Signe de satisfaction. Elle se met à vouloir dépasser la grille afin de se faire caresser. Mais tu as de trop grosses griffes Bella. 


C’est une petite goutte d’eau mais cela rend fier Anthony de participer à de tels programmes. Même si les combats sur terres sont légions -et il nous est impossible de tous les mener-, en agissant pour une cause il reste un espoir de partager un monde meilleur. 

Nous laissons Bella auprès de son meilleur ami « Roméo » et reprenons la route pour notre dernière étape : le plateau du waterberg. Une immense faille aux couleurs rouges semble rappeler les combats sanglants menés entre Héréros et colons Allemands. L’ultime bataille qui dessina le pays tel que nous l’avons visité. Le panorama condense à lui seul notre périple: le rouge des rochers, le plat de l’horizon, les routes rectilignes comme des cicatrices dans un parterre d’acacias clairsemés. L’ascension est donc teintée d’une certaine nostalgie. Posés sur les rochers, nos cœurs sont un peu montés dans nos gorges. Ce n’était pas des vacances mais un voyage « à la découverte de ». Chaque matin annonçant une nouvelle terre à fouler. 38 jours C’est beaucoup et trop peu à la fois. Nous ne pouvons nous empêcher de nous projeter dans une autre exploration de la Namibie et des pays alentours. On nous avait prévenus : une fois que l’on goutte à l’Afrique, tout le reste paraît fade. On confirme en tout cas que ce continent ressemble trop à un retour chez soi. Et ce voyage est très certainement le plus beau de notre vie. Nous ouvrons notre tente Simone avec presque de la nostalgie. Presque! Pas non plus le grand délire ! Mais nous avons passé 13 nuits à déplier /plier notre chambre. Râler du froid dès 3heures du matin, se lever malgré la fatigue et risquer de se retrouver à terre en manquant la marche. Alors bizarrement, ça crée des connexions étranges avec les objets. Demain, nous accompagnerons Simone pour une dernière balade au marché artisanal de Okahandja. Des dizaines d’artisans nous demandent de rentrer dans leur magasins de fortune. Des bouts de bois et des toiles en plastique pour seuls murs et des figurines de rhinocéros, d’éléphants et de girafes déposés en nombre infinis sur des planches. Mais aussi des masques vaudous, des plats en ébènes, des bougeoirs représentant des têtes d’éléphants. Des bracelets, des colliers et des boucles d’oreilles faits en coquille d’œufs d’autruche. Et une machine extrêmement bien huilée pour nous « forcer » à regarder leurs œuvres et pourquoi pas, marchander le prix d’une babiole. Le jeu est intense car nos hôtes sont terriblement bons vendeurs et savent jouer avec toutes les cordes de la vente: parler trois mots de français, apitoyer, jouer les désintéressés, faire de l’humour (souvent).


Tout ce petit monde semble très bien connaître les moyens de faire zigzaguer les touristes dans leur marché. Mais tout se fait avec un esprit calme et sympathique. Nous cédons donc sur quelques emplettes, jouons le marchandage et nous voilà les mains remplies de souvenirs. Un adolescent bloque notre route et nous supplie de rentrer dans son échoppe. Contrairement à ses homologues, Il parle un français parfait et se nomme David. Il nous demande d’où l’on vient et semble sincèrement ému d’apprendre que Salvatore vient de Belgique «... mon pays colonisateur ». David vient du Congo et ne semble pas comprendre pourquoi avec humour Salvatore s’excuse d’être son ancien colon. David nous montre juste des dents parfaitement blanche et nous demande juste de regarder son étal qui semble bien moins fourni que les nombreux précédents. Un peu plus loin de cette corporation, les véritables ébénistes de ces œuvres travaillent à la chaîne à même le sol, sculptant le bois pour lui donner des impressions d’Afrique sauvage à des touristes comme bois avide d’avoir un objet chez eux qui immortalisera leur voyage. 


C’est le moment de rentrer à Windhoek et de vider Simone. Vu son grand âge (3 ans!) demain elle sera louée pour un dernier tour autour de la Namibie, nous confirme le loueur qui nous raccompagne à notre premier guest house de Namibie. L’occasion de faire notre petit « live Facebook » et de tirer au sort notre prochain continent. Certains nous demande pourquoi tirer au sort si l’Afrique nous plait autant. La réponse est dans le fait que, il y a trois ans, quand nous avions tiré l’Afrique, nous n’étions pas certains d’être attiré par ce continent. Et le tirage au sort nous permet de laisser dans les mains du hasard, la possibilité de traverser de nouvelles frontières, fouler de nouveaux paysage et rencontrer différentes cultures. Nous ouvrirons donc les portes de l’Amerique du Nord et/ou centrale. Mille idées déjà de trajets se dessinent. 


Au guest House de Londinigi, nous retrouvons Nathalie, la propriétaire des lieux qui nous avait accueillis le premier jour. Autour d’un vin blanc, nous refaisons avec nos mots le voyage. Faisant revivre la panne d’Etosha, la conduite de nuit dans Opuwo, notre amour pour le Namib vert... Nous avons tous un peu le cœur lourd de cette fin. Nous croisons des nouveaux voyageurs qui, sans doute, repartiront changés dans quelques semaines. Le regard rempli de quelque chose qu’ils auront été les seuls à voir. 


Nous tournons le dos à Windhoek et au loin la tour de contrôle de l’aéroport nous invite au retour. Notre avion survole tour à tour le delta de l’Okavango, les chutes victoria et l’île paradisiaque du Zanzibar dont nous pouvons observer l’eau turquoise. L’Afrique est pleine de trésors qui restent encore à découvrir. Il nous tarde déjà d’y revenir. « L’Afrique n’est pas un continent qui se visite, c’est un retour à la maison »


Nous nous sommes souvent demandé ce que ce voyage allait créer comme sillon dans nos âmes. Plus de 7500km parcourus en 38 jours sur 3 pays, c’est apprendre à rendre des centaines de sourires, apprendre des mots en Damara, en Himba, en afrikaans. Des rencontres variées que nous avons appris à faire toujours plus facilement. Nous aurons vu un nombre important de levés et couchés de soleil pendant lesquels nous aurons appris à écouter la beauté des monologues intérieurs de ces minutes de grâce. Nous avons découvert le ciel austral. Nous aurons regardé cet immense tapis d’étoiles nous trouvant infiniment petit dans cet infiniment grand. Nous aurons regardé cet infiniment petit monde du désert maintenir des paysages infiniment beaux. Et surtout, nous aurons appris à observer d’innombrables minutes de silence. Aucune pour les morts! Toutes pour des êtres vivants capables d’entendre notre présence. Écouter le bruit de la vie qui rugit ou qui mâchonne. Apprendre à observer le monde, à le contempler avec la discrétion des êtres qui ne sont que de passage. 


Anthony Calone et Salvatore Giunta