Jour 5 et 6


La chance est quelque chose de très relatif. On arrive à évaluer son degré seulement en se comparant à d’autres personnes. Hier soir nous sommes rentrés « bredouilles » de notre safari. Notre regard s’est finalement blasé des gnous, nous frissonnons devant deux autruches avant d’avoir cet irrémédiable besoin de voir ENCORE plus. Plus grand, plus puissant, plus impressionnant, plus... comment dire ? Plus ouf à montrer en photo? Zut... le piège du sentiment de l’envie nous a pris dans sa toile. Nous admirons le paysage, Anthony rêve de comparer ses découvertes avec sa nouvelle copine néo-zélandaise plus chanceuse, Salvatore reste plus stoïque et répète inlassablement que c’est le jeu de la vie sauvage. Même si au fond de lui, se cache aussi plus discrètement l’attente d’un éléphant. C’est une philosophie de riche que de croire que la vie sauvage répond à nos caprices. Les animaux bougent et répondent à des instincts que nous avons laissé avec eux pour nous acclimater à des vies moins approximatives, plus formatées, plus prévisibles. Comment dès lors exiger que leur besoin corresponde aux nôtres? Jetons les dès du hasard et espérons en attendant de croiser le regard serein d’un animal si accepte de se montrer. 

Nous avons passé notre premier safari dans une réserve privée cela signifie que les animaux restent à l’état sauvage mais qu’ils ont été implantés ici. En Afrique du Sud c’est quasiment impossible de voir ces animaux à l’état sauvage en dehors des réserves privées ou naturelles. Nous avons choisi une réserve privée car pour notre premier safari nous voulions avoir l’expérience d’un vrai ranger. Nous sommes à Nkomazi game reserve retenons ce mot: « game » il s’agit absolument d’un jeu où on ne gagne pas forcément sauf la chance qui ne vous sourit pas toujours, vos sens sûrs d’entrer en éveil. Vous devenez à votre tour un ranger en apprenant sur le tas, vous vous habituez à son regard, vous tournez la tête presque en même temps que lui a l’affût de ce qui doit être perçu. Vous commencez à savoir ce que vous cherchez à regarder, vous faites le premier pas vers la vie de tracker. Vos yeux passent le relais à votre ouïe pour percevoir les bruissements et les cris. Enfin, vous humez l’odeur d’un crottin frais et lorsque vous avez fait le tour de vos sens vous plongez davantage dans votre perception des lumières, des sons et des odeurs. Vous regardez ces arbres déracinés avec intérêt, vous écoutez ce cri avec frisson, vous respirez cet air pur avec plaisir. Vous vous prenez au jeu et vous vous mettez à espérer être le premier à percevoir tel animal se camouflant ci ou là. Ce qui est intéressant c’est que le « jeu » est joué à fond par l’équipe du safari. Il aurait été tellement facile d’instaurer une puce gps aux animaux des big five afin de savoir où ils sont et de satisfaire le client. Ce n’est pas le cas. Nous devons les chercher et nous devons donc accepter que parfois ils décident de ne pas se montrer. Car soyons clair, en safari si tu vois un animal c’est qu’il veut être vu (ou que ça ne le dérange pas), chaque fois ils nous entendent bien avant que nous les voyions, car les animaux aussi ont leur côté théâtral. 


Le soir même, nous prenons notre repas seuls dans une tente spécialement aménagée pour nous. Avant nous c’est l’émir du Bahreïn qui y était... cet excès de luxe nous gêne, mais nous apprécions quand même un formidable repas en compagnie de Maurice, le « Baby bush » du lodge! Vraiment très amusant. La nuit, vos sens excités par le safari, eux-mêmes capables d’ignorer les voitures qui vrombissent sur nos routes, sont alertés par d’infimes mouvements dans la brousse africaine. Un animal rôde autour de la tente! Anthony sent ses pas sur la terrasse. Salvatore ne ferme pas l’œil. Nos sens s’excitent et notre cerveau s’agite. Des verres cognent l’un contre l’autre. Salvatore allume la lumière. Maurice, le galago, s’est introduit dans la tente pour subtiliser nos cookies. Gentleman cambrioleur, il s’enfuit avant même qu’on comprenne. Décidément, l’espièglerie animale nous charme malgré l’effroi.


Le matin nous décidons de faire un « bush walk ». Direction la vie sauvage et la prise de risque est bien réelle. Le ranger nous attend avec une autre ranger , fusil en main. Les premiers mots sont clairs : « En voiture, nous étions le dessus du panier, maintenant nous sommes en bas de l’échelle. Surtout quoi qu’il se passe vous ne courrez jamais. Marchez derrière moi à distance de sécurité. Isa fermera la marche et complètera mon regard ». Nous commençons à marcher dans la presque pénombre d’une nuit qui fuit quand le soleil annonce son levé derrière les montagnes encore brumeuses. D’aussi loin que notre regard se porte, nous ne voyons qu’une skyline aux bords doux. La brume colore pour nous l’horizon de bleus si différents qu’il est difficile de les nommer. Pas moins de les observer et les graver dans nos rétines assoiffées de couleurs. L’air est frais, encore un peu humide. Nous l’inspirons et notre nouveau jeu commence. Nous reapprenons à découvrir, sentir, observer et toucher les traces des animaux. Peut être comme le faisait nos plus anciens ancêtres. Les plus évidentes sont les déjections et les empreintes. Marion prend en main une trace laissée par un animal afin de l’analyser: sa taille mais aussi sa composition. Nous apprenons à remarquer si ce sont des herbivores ou pas, les impalas ou zèbres mangent l’herbe douce, quand les éléphants ou les rhinocéros noirs mangent des branches. Nous apprenons avec méthode à identifier ce qui nous entoure

Scherlock Holmes de la savane, Marion joue les professeurs et nous demande de repérer les indices pour reconstituer la scène du crime! Si les empreintes sont plus enfoncées à l’arrière du sabot, cela signifie que le zèbre était au galop dans cette direction. Plus loin nous admirons le paysage de savane qui s’étend à l’infini Marion nous explique comment en tant que ranger il est important de savoir observer chaque mouvement suspect même de très loin. Soudain Isa nous interrompt le cours

« PSHHHHT »

Et là, la magie opère, l’air se fend d’un gigantesque rugissement suivis de plus petits plus courts. Nous reconnaissons le cri de Simba que nous avons observé hier.

« Il s’agit d’un Lion » nous confirme Marion en tenant fermement son fusil. Il est là, devant nous mais nous ne le voyons pas. Il marque son territoire, peut être nous a t il entendus? Nous continuons discrètement notre route. Chacun de nous savoure ce moment exceptionnel au moment où il sent qu’à tout moment la vie peut lui échapper devant la fureur d’un tel animal. C’est un sentiment étrange que de jouir du moment et de sentir sa dangerosité. Nous sommes le bas du panier. Certes, nous gagnons l’avantage d’être armé, mais le but n’est pas de s’en servir, ensuite, si nos ranger sont si précautionneux, c’est qu’il n’ont jamais dû tirer contre ceux qu’ils protègent. Nous déglutissons le goût de l’étrange sentiment de dépendance. Les animaux que nous observions hier depuis notre cages motorisée ne fuient plus aussi vite. C’est eux qui nous observent, jugent notre dangerosité, s’écartent d’une pâte. Chaque fois que nous tombons sur un animal ce dernier était déjà en train de nous observer. Et pour preuve, nous observons sur le flanc de montagne un troupeau de zèbres, d’ impalas et gnous déguerpir à toute vitesse.

Marion nous souffle que c’est peut être le lion qu’ils fuient. Mais rapidement nous voyions un véhicule qui s’est annoncé bien avant à leurs oreilles aiguisées. Protégés par le flanc de montagne, alors que nous assistions à leur courses, les touristes dans la voiture n’ont pas pu croiser ces troupeaux. Ceci expliquant cela, pas étonnant que l’observation soit si peu aisée.


Retour au jeu de découverte, et dans tous les sens du terme! En s’arrêtant autour d’une déjection d’impala Marion nous explique qu’en Afrique du Sud il existe un sport qui consiste à mettre une déjection d’impala dans la bouche (elles ressemblent à des petites balles) et de les souffler le plus loin possible ils appellent cela Bokdrolspoeg (c’est de l’Afrikaans). Il nous montre, nous dépassons nos concepts de crottes, nous nous prêtons au jeu! Salva remporte le match haut la main! Des idées de jeux à faire en Europe avec les crottes de lapin séchées... 

Finalement, nous terminons notre marche presque en nous excusant d’avoir trop voulu d’un coup. Nous recevons la leçon et sommes heureux de l’avoir approchée via ses petits secrets. Marion nous confirme qu’il préfère aussi marcher à rouler. Cela permet d’observer les animaux dans un comportement naturel face à nous. Le temps d’un petit déjeuner réparateur et il est temps de faire nos bagages, quitter ce lieu idyllique! 


Mère Nature a voulu elle aussi nous concéder une faveur après l’avoir ausculté de derrière : le graal est devant nous, dans la majestueuse démarche de trois girafes qui traversent nonchalamment la route, juste devant nous. Comme pour saluer notre patience, l’une d’elle incline la tête. On espère avoir perçu un dernier clin-d’oeil pour nous souhaiter l’au revoir. nous les saluons à notre tour. 

Dernière poignée de mains avec notre ranger, les montagnes de Baberton ronronnent dans le rétro tandis que s’étale devant nous l’asphalte qui nous mènera au Swaziland.