le Caire, 4h30. Les roues frappent avec fracas le sol des pharaons. Le dôme lumineux de l’aéroport éclaire le ciel noir. Les voyageurs impatients se serrent inutilement dans les couloirs étroit de l’avion avant de se déverser dans le couloir de l’aéroport. Un homme attend à la pancarte en main les deux touristes que nous sommes devenus. Nous sortons de la masse pour nous rendre unique. Différent. 

Expériences que vivent chacun des inconnus qui, le temps d’un vol, étaient devenu cette marchandise nécessaire au pays : des touristes.

L’homme nous demande de le suivre ce faufilant entre les épaules larges et moins larges d’une masse dont nous ne faisons plus partis. Quelques formalités plus tard nous voici dans une camionnette roulant tout droit vers notre hôtel. Les routes sont larges, mal entretenues et abandonnées. Sur les trottoirs quelques badauds, des tuctucs garés aléatoirement. Notre route traverse des eaux sinistres et morbides. Le Styx? Les heures de vols nous auraient elles tués? 

5h30, l’accueil de l’hôtel est chaleureux nous n’avons cependant qu’une hâte nous endormir. Les chiens hurlent, les oiseaux chantent, les pyramides devant les fenêtres découpent un ciel qui hésite à s’illuminer. 

7h30, las, l’heure de sommeil n’aura pas suffit à nous recharger. Dehors, le ciel bleu fait exploser le creux des briques des pyramides. Le soleil, c’est une promesse mystique s’écrase sur notre peau blanche nous forçant à adopter la casquette et la crème. Après un rapide mais copieux déjeuner, nous partons vers l’essaim que représente Le Caire.

La conduite égyptienne est très similaire à la kenyane pare-chocs is the limit pourquoi patienter dans des bouchons quand on peut traverser des talus de graviers ou des ravins pour les contourner? Nous rencontrons notre guide pour notre première découverte de la ville aux 5000 ans d’histoire. Une petite femme menue au nom de Doaa nous emmène dans sa course vers l’époque pharaonique, des masques d’or et des colliers aux mille lapis-lazuli.


La richesse coule autant que les eaux du Nil. Nous marchons à travers l’histoire, le cœur tremblant devant les mystères qui referme chaque pierre, chaque porte en bois.

La vue des pyramides termine cette première journée. La sépulture du Pharaon Képhren avale le disque solaire nous laissant face au désert froid et aride. Le spectacle est de taille.

Nous sommes absorbés dans cette ambiance racontée par une civilisation qui semble encore avoir envie de nous parler.


Décoller les paupières. Ouvrir les yeux. Sortir du lit. Procéder à chaque étape avec précaution. Le sommeil n’est pas une banque Où l’on pourrait faire un dépôt que l’on viendrait chercher en cas de pénurie. En emprunter au Voisin d’en Face aurait pu nous aider. Qui l’eut cru : déjeuner devant un cimetière relèverait du romantisme.

Devant trois imposantes tombes, le gros chat à tête humaine ronronne avant l’arrivée massive des cars de touristes et des chameaux fatigué de leur servir de guide.

La bouche déjà rassasiée de mets épicés, nous rejoignons Doaa qui nous attend et nous partons. Pour cette deuxième journée qui nous rapprochera des dernières demeures des rois. S’approcher d’elles renforce notre humilité.

Nous contournons la pyramide de Kheops et touchons sa base comme si nous étions privilégiés par une grâce unique: faire la rencontre avec l’Histoire de l’humanité. Nous prenons du recul comme pour mieux réaliser ce que nous sommes en train de voir. Mais ce recul nous coupe le souffle: lorsque nous nous tournons face aux trois pyramides s’imposant dans le désert comme une feinte à nos délires d’immortalité.

Le désert comme métaphore de l’endroit où plus rien ne vit. Rapprochons nous pour calmer notre vertige. Là, c’est le sommet de la pyramide qui prend le relais de nos têtes qui tournent. Impossible de regarder ailleurs.

Il faut que Doaa nous arrache à notre torpeur pour que nous détournions les yeux vers la fabrication du papyrus. Nous repartons vers la pyramide de Djoser  (dite à degrés car elle a plusieurs étages) suivi du tombeau de la princesse Idot dans lequel nos admirons nos premiers dessins égyptiens.

 « Les Européens c’est fragile! », se moque Doaa, certes notre estomac épouse avec difficulté le régime égyptien (surtout les intestins d’Anthony) et nos yeux fragiles sont éblouis par tant de lumières éclatant du désert et des blocs de calcaire ou de granit. Mais nous pourrions aussi dire que nous sommes sensibles aux charmes de ces raffinements et de ces mystères. 

L’Egypte des pharaons n’est pas un pays mais un univers long de trois millénaires… Trois millénaires. Il faut s’arrêter pour visualiser ce que cela représente. C’est comme si aujourd’hui nous faisions un bon jusque 1000 ans avant Jesus-Christ et que tout cet « espace » serait comblé par une seule civilisation. Il n’y a donc pas besoin d’avoir  eu une commotion pour avoir le vertige. 😉Arriver en Égypte ce n’est donc pas seulement faire un bon dans l’Histoire, mais un bon dans un autre monde fascinant d’ingéniosité, d’art et de spiritualité. Nous voilà en route sur ce parcours spirituel où nature, homme et univers vivent en harmonie terrestre et céleste. Un monde où Pharaon est garant de l’harmonie et le lien entre l’Homme et le divin. Un monde où la spiritualité ne comporte ni dogme, ni vérité révélée, définitive et imposée. Une spiritualité sans rigidité ni livre sacré que Pharaon pouvait interpréter et le savoir-faire des artisans devaient nous transmettre.

Doaa nous confie sa fierté d’être égyptienne et son amour de la langue de Molière. Pays qu’elle souhaite visiter un jour. Elle rêve de Versailles. Certainement ses gènes égyptiens qui s’expriment. Elle aimerait voir l’obélisque de la Concorde… il n’y en a probablement pas assez en Égypte à son goût…



Nous quittons Doaa pour rejoindre notre train qui nous mènera vers le sud. Nous nous enfonçons dans les terres égyptiennes à la recherche de la vallée des rois et du peuple nubien. Le wagon hoquette, les rails répètent une musique hypnotisante, au loin des villages s’égrainent sous nos regards taquins. Prochain arrêt: Assouan.