« Anthony il est 7h on vient de dépasser Louxor, il faut que tu voies comme c’est vert ». Oui, une belle nuit de merde, ça aide vachement à être matinal. En même temps, chaque objet métallique s'est lancé toute la nuit dans un orchestre infernal empêchant de fermer l'œil, à moins, comme Anthony, d'avoir une bonne dose de médicament. Les vitres anciennement impactées par des balles réelles nous rappelle que la moyenne Egypte est une zone plus difficilement controlable.

Mais bizarrement, elles n'empêchent pas le paysage bucolique de nous apaiser. Le Nil dessine une écorchure profonde dans le desert immense. Moins chaotique que Le Caire, l'agitation de la gare d'Assouan nous transporte encore dans un autre monde que la Basse-Egypte. Le soleil frappe sur les peaux mates. L'arrivée de touristes crée un vacarme à l'entrée de la gare. Notre hôtel se situe de l'autre côté de la rive, sur l'île Elephantine. L'hôtel au drole de nom de "King Jamaican " est des plus modeste. 


Walid est notre guide du jour, il nous emmenera dans un véritable voyage à travers le partage de sa culture. Walid est liégeois quelque part car il connaît l'expression "Baraki de kermess" ce qui nous a fait tout de suite sentir en confiance. Un Nubien au verbe liégeois, c'est précieux! 


Un jour il visitera la France même si les dures lois diplomatiques lui barrent la route. Assouan est la plus grande ville de Nubie, c’est ici que les carrières de granites étaient exploités durant l’Antiquité et alimentaient tous les projets fous de pharaon.

Ces carrières renferment notamment l’obélisque inachevé. Abandonné par les 20.000 ouvriers qui travaillaient dessus sous le commandement d’Hatchepsout (paraît il?), nous ne remercierons jamais assez la mauvaise qualité de la roche à l’origine de cette décision qui nous offre un témoignage inestimable sur les méthodes de travail de l’époque: comment extraire d’une carrière de granite un ouvrage aussi immense et pesant 1200 tonnes? 


Même si Walid nous confirme qu’il n’hésite pas à aller boire directement dans le Nil s’il a trop soif nous ne nous y aventurerons pas (le système digestif d’Anthony ayant déjà du mal avec 2 glaçons). En réalité, l’eau si précieuse dans ce milieu désertique n’est finalement pas si rare pour les habitants grâce au lac Nasser, une mer en plein désert retenue grâce au Haut barrage capable de retenir un lac long de 500km qui alimente toute l’Egypte en eau.

Si Walid nous parle de la fierté des Égyptiens pour cet ouvrage hors du commun il n’élude pas les controverses notamment l’expulsion de dizaines de milliers de nubiens menacés par la montée des eaux.

Si les hommes ont pu partir, ce n’est pas le cas de nombre de temples pharaoniques qui sont à jamais perdus…

Heureusement, ce n’est pas le cas du temple de Philae que nous visitons dans la foulée qui a été sauvé in extremis de la catastrophe.

Longtemps sous l’eau suite à la construction du premier barrage, il a été découpé et déplacé pour être sauvé. En revenant du temple, nous avons un échange intense à cœur ouvert sur nos croyances respectives: culture, religion, traditions, condition de la femme.

Nous tentons tous de manier l’art de choisir les bons mots pour ne pas heurter mais interroger en toute honnêteté

 Nous terminons cette magnifique journée par une balade en bateau sur le Nil, sillonnant quelques îles émergeantes comme des oasis. Le coucher de soleil sur les roseaux ajoute une touche romantique à ce deux mai qui est aussi la journée qui célèbre nos 12 ans de vie commune. 


3 mai, 5h20 le réveil sonne. Salvatore n’a qu’une envie: étrangler Anthony pendant que ce dernier rêve d’Abou Simbel, l’étape du jour. Trois heure de route vers l’extrême sud de l’Egypte, presque à la frontière soudanaise. Nous traversons des étendues de sables immenses parsemées de buttes noires témoins d’un plateau jadis plus élevé. De nouvelles villes emergent tels de curieux champignons du sable jaune. Ces villes, encore fantôme, sont un ambitieux projet de développement du désert grâce à l’irrigation issue du lac Nasser. Difficile toutefois de convaincre les Égyptiens de quitter leur verte vallée du Nil pour ces étendues mortes. Quelques check point militaires et un tropique du Cancer plus tard nous arrivons à Abou Simbel.

Le souffle est coupé. Que dire devant tant de splendeur? Un chef d’œuvre de 3300 ans se dresse devant nos yeux. Chair de poule et grande émotion assurées.

Abou Simbel c’est le temple qui a bercé nos cours d’histoire. Cette œuvre mégalomane du grand Ramsès 2 se dévoile à chaque coin de mur.

Du couronnement par Horus et Seth à la bataille de Kadesh. Des mille et une représentations du panthéon égyptien à son amour dédié à Nefertari.

Tout y est. Les cours d’histoire d’Anthony semble prendre vie sous ses yeux, le frisson s’installe. L’agencement des pièces, la juxtaposition des œuvres, tout prend une démesure qui donne le vertige. A 10 heures les touristes s’en vont. Abou Simbel est rien qu’à nous.

Le temps de s’imprégner des lieux, de figer dans notre mémoire la splendeur de ce site. Il est des souvenirs qui restent gravés à vie dans nos cœur et notre esprit. Pourvu que celui-ci ne nous quitte jamais.


Sur le retour, la route dessine un grand mirage. Le sable se soulève des eaux et cette image semble restée fixée à l'horizon à mesure que nous avançons. 


Notre retour à Asouan se fera sur un bateau où nous logerons. Après un repas éclair, nous arpentons les rues secondaires de la ville jusqu'au souk où épices et tissus se vendent "moins cher que gratuit". C'est eux qui le disent. Les vendeurs sont polyglottes, ça tchatche pour les prix, ça achalande à tout va, ça observe avec insistance...il faut jouer le jeu et accepter pour se lâcher véritablement. Le retour au bateau nous permet de sympathiser avec des Français que nous avions déjà croisés. Le courant passe rapidement et nous nous permettons de retourner au souk le lendemain avec eux. 


Nous quittons Assouan vers 14h. Le bateau descend le Nil vers notre prochaine étape: Kol Ombo. La ville devient plus petite, nous quittons l'extrême Sud du pays, son peuple Nubien au son des appels à la prière.