La fameuse étape est devant nous. Avec une crainte non dissimulée pour Salvatore. Le Mont Kenya. C’est cette montagne qui a donné son nom au pays. Pour la petite histoire le « Mont Kenya » vient du peuple Wakamba et signifie « montagne de l’autruche » à cause des couleurs noir (basalte, volcanique) et blanc (neige) de son sommet. A 5199m, il est le point culminant du Kenya et le deuxième plus haut sommet d’Afrique après le Kilimandjaro (5895 m). Nous sommes ici sous l’Equateur mais les neiges sont encore persistantes (pour combien de temps encore?). 


Les Wakambas considéraient le mont Kenya comme la maison des dieux et personne ne pouvait y aller au risque de les déranger et d’attirer leur colère. Ça tombe bien, on n’est pas Wakamba. Enfin, Salvatore rêverait l'espace d'un instant qu'Anthony de convertisse au "waka-wakambatisme" (dont la plus grande tradition consistait à balancer les hanches en rythme) mais... non.  


Objectif: atteindre le 3e sommet du massif, la pointe Lenana (à 4985m quand même). Deux jours et demi d’ascension et une journée et demi de descente. 

Avant d’entamer le trek nous nous installons dans un lodge au jardin sympathique et aux chalets reposants. Mais l'heure n'est pas encore à la pure contemplation. Nous devons préparer nos sacs afin de les faire inspecter par notre futur guide des montagnes qui nous briefera aussi sur l'organisation de ces 4 jours de trekking / hiking. Salvatore est très anxieux, Anthony essaie de ne pas le montrer. Notre guide s'appelle Castol. Nous lui expliquons que même si nous sommes des habitués de la randonnée, jamais nous n'en avons fait à si haute altitude. Hormis le mont Longonot (2785 m) fait l'avant-veille. L'impression de n'être absolument pas préparé physiquement pour ce type d'aventure étreint la poitrine de Salvatore. Heureusement, Castol dissipe les doutes et nous assure qu'en cas de signes inquitants, d'autres chemins nous permettrons de nous acclimater. De même qu'il ne s'agit pas d'une course mais d'un objectif. Les étapes, quant à elles, explique Castol, sont calculées pour favoriser l’acclimatation. Toutefois, il nous précise bien que le troisième jour sera particulièrement éprouvant, avec un levé à 3 heures du matin (BAM) et une ascension de 800m (BAM BAM) assez raide (BAM BAM BAM) que nous devons boucler en 3h (à ce moment, un petit singe à cymbale s'est allumé chez Salvatore afin d'occulter ce qui suit) , à la lampe torche, pour atteindre le pic à 4985m, la température peut y atteindre -10°C et le vent peut souffler (Salvatore s'est mis à frapper des mains comme le petit singe dans sa tête). Avoir un guide expert du milieu naturel n’est pas un luxe, c’est vital. Il ne faut pas prendre ce défis à la légère, on dénombre plus d’une dizaine de morts par an, souvent par manque de précaution. Mais à part ça, la montagne ça vous gagne... littéralement. Castol nous demande si nous avons d'autres questions. Salvatore à envie de lui demander son certificat de santé mais ne dit rien. Castol nous donne rendez-vous à 10h. 


Pour s'assurer que le voyage ne soit pas insurmontable pour nos corps d'athlètes, un cuisinier s'occupera de nous préparer des repas sur chaque étape et des porteurs s'occuperont de transporter les affaires du couchage... et de mangeage. Voilà, c'est tout pour le confort. Enfin c'est en fait énorme quand on écrit ces mots et qu'on sait que chaque gramme supplémentaire vous démontera les épaules à chaque dizaine de mètres. Avoir un repas chaud et des vêtements propres c'est du luxe 5 étoiles pour dormir à la belle étoile.  


Nous faisons un feu dans la cheminée de notre lodge tout en écoutant les grues faire un boucan dans les arbres. Nous revérifions chaque détail de notre valise, comparons avec le parcours, essayons les sacs à dos, soupesons leur poids, leur maintien, replions comme des toqués le linge à enfiler pour la première randonnée et faisons une brève vidéo pour partager les angoisses avec nos camarades de Belgique. Nous allons nous coucher, le sommeil lourd et l'autre léger pour contrebalancer le poids de nos paupières. 


Le lendemain, au réveil, nous lisons les commentaires de nos amis. Les encouragements et les douces taquineries nous font passer le déjeuner plus léger et nous attendons les 10 heures avant de faire le check-out, monter dans le bus magique, blaguer avec Emmanuel. Nous partons chercher notre équipe ainsi que notre guide. Aux portes du parc naturel, quelques signatures et paperasses obligatoires. L'hôtesse coincée sur sa chaise de bureau vérifie nos passeports, nous demande le numéro d'une personne de contact en cas de problème. Salvatore se fait la réflexion que cette dame n'a peut être jamais été au sommet dont elle vérifie les allées et venues. Une photo de groupe s'impose. Chacun fait le sourire. Emmanuel, comme promis, chante "Ca ira mieux demain " d'un air désolé avant de partir à bord du bus magique.  


L'équipe de porteurs charge une petite voiture jusqu'à la première étape, et nous entamons la randonnée avec nos sacs et les pas nous aident à nous détendre pour rentrer dans l'aventure. Devant nous s'étale une route asphaltée sur 9 km bordée par une forêt tropicale et de bambous. Notre premier refuge est au bout du chemin à 3050 mètres d'altitude. Malgré le ciel gris, le temps est idéal pour la marche. 

Le contact avec Castol se fait très rapidement et le récit de ses expériences nous permet aussi de mesurer son expérience et nous sentir un peu plus à l'aise. 


En chemin, une voiture nous propose de nous conduire jusqu'à la première station. Castol ayant décelé que ces 9 premiers kilomètres allaient être de la tarte pour nous, il nous propose de monter et de faire une randonnée au-delà du premier campement afin de vérifier notre acclimatation à l’altitude. Bonne idée. Nous arrivons plus tôt que prévu pour avaler notre premier lunch et grimper plus haut dans la forêt tropicale. Les nuages caressent la cimes des arbres. Bientôt, c'est à nous d'avoir la tête littéralement dans les nuages avant de les dépasser et arriver vers les landes. Nous sommes déjà à 3400 mètres et le paysage s'est transformé pour laisser une vue sur toute la vallée bien lointaine.

Nous sommes immergés dans une végétation totalement inédite: Séneçons géants, lobélies géantes, Liliacées, prairie de tussacs. Le mélange est superbe, harmonieux et paisible malgré la météo indécise. Castol, nous présente ce paysage qu'il n'a plus pu arpenter depuis le Covid. Il nous confie être optimiste pour la suite, nous ne sommes pas essoufflés et nous avançons vite. C'est déjà une bonne chose. C'est déjà l'heure de redescendre à 3200 mètres pour reprendre des forces avant la deuxième journée qui sera bien longue. 


La nuit tombe sur la montagne et ne nous donne pas le choix que d'enfiler nos vêtements les plus chauds et nous glisser dans nos sacs de couchage. Le froid empêche Anthony de dormir. Et dire que le prochain lodge est à 1000 mètres d'altitude plus haut. 


Dès six heures du matin, il faut se lever, changer ses vêtements chauds pour ceux qui sont froids et humides, prévoir son sac de la journée avec ces affaires chaudes en cas de mauvais temps, remplir celui des porteurs avec nos pyjamas, avaler un petit déjeuner costaud et enfiler ses guêtres pour affronter la grosse montée à travers la foret et les landes. Le temps est clair et la marche nous donne suffisamment chaud pour marcher en t-shirt. Pourtant, les plantes sont couvertes de gel. En chemin, nos porteurs tout chargé de nos bagages et des leurs nous rassurent … « It’s Not heavy it’s in the mind ». Les yeux façon "Tex Avery", nous les regardons continuer le chemin avec aisance. Des prairies de tussacs succèdent à d'autres prairies de tussac, puis se raréfient pour laisser place à des forets de lobelias géantes. Nous commençons à entrevoir notre objectif, le pic du Batian (le plus haut sommet du mont). Est encore timide et se cache sous une couverture nuageuse. C'est sur un point de vue que nous faisons la pause déjeuner à mi-chemin parmi les oiseaux de montagnes qui viennent observer ce que font ces drôles d'oiseaux fardés de sacs à dos.  

La reprise est particulièrement difficile. Anthony a du mal à reprendre son souffle et a besoin de pauses. Nous sommes à 3800 mètres. Le manque d’oxygène commence à se faire sentir. Les nuages nous enveloppent alors de leur froid métal, il est impossible d’avoir un paysage dégagé sur la vallée ou sur le sommet. Anthony est déçu. L'espoir d'une récompense s'amenuit. Salvatore commence sérieusement à en avoir marre de marcher. Ce sont d'abord les mollets, puis les pieds ensuites les épaules et parfois un mal de tête qui s'alternent tour à tour. La route longe un flanc de la montagne creusé par une rivière que l'on entend plus bas. 

 

Nous arrivons au camp à 4200 mètres d'altitude. Des marmottes fuient sous nos pas. Les deux derniers kilomètres deviennent vraiment ennuyeux pour Salvatore. L'envie de jeter le sac et de faire une crise de nerfs. Reclamer un canapé, un plaid et un carré, non, une plaquette de chocolat noir aux noisettes. "Si ça te semble loin, pourquoi ne pas prendre un bon jour d'avance?", Pour Anthony ce sont les épaules qui souffrent énormément… 


Voir le chalet au loin nous donne des papillons dans le ventre. Lâcher ce sac, enfin! Le brûler peut- être et puis... non...le chalet est gelé, il est à peine 14h et nous sommes frigorifiés. On va bruler le châlet, chou, ce sera plus simple!

Le cuisiner nous rechauffe tout de même l'estomac avec des beignets. C'est réconfortant mais bien traitre... le corps sait qu'il peut lâcher la pression et... lâche. Lorsque nous étions en activité nous ne sentions pas spécialement le froid, maintenant à l’arrêt, il nous pénètre les os. S'en est trop, Salvatore reflechit à toutes les possibilités de meurtre possible, s'asseoit sur sa couche et ne prend même pas la peine de défaire ses chaussures. Quelques graffitis marquent le passage des fous qui sont passés par ce camp. Salvatore en lit quelques uns sur son lit. "I wanked here" . Salvatore regarde sa couche, essaie de ne plus y penser... fatalement y pense et s'endort là même où d'autres ont trouvé un lieu pour se réjouir de leur sommet. Anthony endosse ses chaufrettes et le suit. 


Nous sommes réveillés par Castol qui nous invite à prendre une collation et du thé bien chaud. Tandis que nous discutons avec notre guide, la vue se dégage et les sommets se dévoilent. 

Malgré le froid et les membres engourdis, c'est quand même pour ces stars que nous sommes venus. Hors de question de les manquer. Nous sortons armés de nos téléphones et notre appareil photo. La pointe Lenana, que nous atteindrons demain, se découvre suivi du plus grand sommet, Bastian. On peut apercevoir les neiges éternelles (pour combien de temps encore ?). Cette même neige qui ruisselle plus bas pour donner vie à tout ce que nous venons de traverser. Cette séance photo nous a remis d'aplomb et Castol décide de nous faire une épreuve d'altitude en nous amènant à une dernière marche. Nous traversons un cirque glaciaire marécageux, sautant pour éviter de mettre le pied dans l'eau froide puis nous trouvons au bout de 30 minutes sur un splendide lac de cratère. Au passage Nous pouvons jouir d’une belle vue sur le glacier Tydo un des derniers glaciers d’Afrique qui plus est sur l’Equateur. Retour au camp et dodo à 19h30, demain debout à 2h30. Le froid nous effraie vraiment. Nous tentons les chaufferettes mains. Anthony en met partout: chaussettes, gants… l’effet est quasi immédiat et procure une chaleur soutenue et prolongée! Salvatore ne ferme pas l'œil de la nuit. L'angoisse est irrationnelle... quoique à si haute altitude. Il est impossible de communiquer via un réseau. L'oubli de prévenir de cette éventualité à ses parents ne fait qu'augmenter la dose d'anxiété. Les porteurs vont au toilettes, des portes claquent, le froid est partout sauf dans son sac où il garde une thermos remplie d'eau chaude. "I wanked here". Le ciel, s'il est dégagé doit être beau. Impossible de sortir de cette chaleur pour aller faire de la grimpette à 5000 mètres. Sept fois au dessus de la Belgique. "I wanked here" Moi, j'ai plutôt envie de pisser. Anthony roupille. Une porte claque. Des pas et puis silence. "I wanked here". 


Une lampe frontale nous réveille. " I've made the" C'est le cuisinier. Il faut y aller. Avaler un thé brûlant. Dernier raccord pour les vêtements avec Castol. Endosser le sac. Il est 2h20. La nuit est claire. On peut voir la silhouette du Batian à travers les étoiles ainsi que la pointe Lenana. Regard sur la voie lactée avant d'allumer la lampe torche et avancer dans le noir que nous faisons à peine fuir d'un coup de tête. Le sol est gelé et la pente très importante, le chemin est compliqué et semble interminable. Anthony scrute la ligne de crête mais celle-ci recule telle un mirage. Nous ne pouvons voir que les pieds de la personne devant. A 4400 mètres Anthony a du mal à respirer, cela semble lié à l’altitude. On s’arrête quelques minutes et on repart. A 4600 m, nous voyons les dernières végétations. Nous atteignons finalement la crête, le faisceau de nos lampes plonge dans un noir profond à gauche, derrière et à droite. Le vide est partout. Nous sommes sur la crête et la pente est telle que chaque arrêt nous fait un peu basculer vers l’arrière. En partant, Anthony a suivi les conseils du Lonely Planet et a mis deux paires de chaussettes. Note pour plus tard: Le LONELY PLANET N’EST PAS UNE SOURCE FIABLE POUR LES CONSEILS DE RANDONNÉE. Ses pieds ont sué et la transpiration s’est littéralement congelée autour du pied. Là-haut, un vent chasse en continu. Nos nez coulent et gèlent instantanément. Afin de ne pas attendre le levé du soleil dans le froid, nous faisons un arrêt dans un refuge pour enlever la paire de chaussettes d'Anthony. 


Sur la ligne de crête on peut voir sur notre gauche le Batian dans la nuit, le ciel est couvert d’étoiles sauf là où se trouve le grand pic. C’est vertigineux. A 200 mètres de dénivelé du but nous longeons le glacier Lewis, il fait extrêmement froid, il y a un vent fort qui pénètre les os. Salvatore se sent l'envie d'abandonner mais refoule. Si près du but. Nous longeons une rampe de secours utiles pour ceux qui font cette montée par temps de neige (oui, il y en a que ça fait triper de faire ça en temps de neige) A 100 mètres de dénivelé du but le sol est couvert de scories qui glissent sous nos mains et nos pieds. À 70 mètres, l’ascension devient littéralement de l’escalade. Nous apercevons des névés sous nos pieds et sous nos mains. 

Les pieds d'Anthony sont à deux doigts de l'engelure et l’eau dans sa gourde a complètement gelé. Il est impossible de boire. Il fait au plus -10°C les derniers mètres sont atroces. Une échelle en fer est soudé à la pierre pour nous aider à atteindre le Saint-Graal, déjà le Batian rougeoit sous la lumière que cache encore Lenana. Castol nous cède le pas et nous grimpons les marches jusqu'à nous soulever sur le troisième plus haut pic du Kénya. Le quatrième plus haut d'Afrique. Une ligne de fer rouge marque à l'Est l'horizon. Au sud, des nuages bas s'accumulent telles l'écume sur les vagues recouvrant le Kilimandjaro. A l'ouest, le Batian est passé du bleu au pourpre et au Nord, des chaines de montagnes font des vaguelettes sur lesquelles glissent des nuages blancs. Lenana est sous nos pieds. Nous la foulons. Anthony en oublie ses pieds gelés obnubilé par ce soleil qui sort de sa léthargie. Salvatore est submergé par un tas d'émotions qui sortent mal ordonnées. Ce n'est pas le sommet qui est seulement atteint, c'est d'avoir dépassé de si loin la zone de confort, l'anxiété, la paresse peut-être, la peur de l'échec qui se confronte à cette victoire sur le mental.  

Bon, déjà le lever à deux heures du mat c'est inconfort. Faire directement un effort physique. Le faire dans le froid, dans le vent, à 5000 mètres d'altitude. On peut dire que, oui y a pas mal de zones d'inconfort dans la démarche d'aller se geler les fesses sur Lenana (en un mot, oui, oui!) 

Nous commençons à nous dire que le plus dur est définitivement derrière nous. Le Batian se revêt de jaune et cela force notre admiration. Alors que nous semblions être seuls sur cette montagne durant ces trois premiers jours, des touristes affluent de toute part pour photographier comme nous leur exploit sportif. 

Nous entamons la descente. Pas moins difficile que la montée. Le sol friable. La pente est à pic. Heureusement que nous avons les bâtons pour nous aider. Même si les genoux encaissent les coups quelques fois. Après les mollets sur la montée, c'est au tour des cuisses de souffrir. La surprise est de trouver des traces de léopards à plus de 4600 mètres d’altitude. Elles sont fraîches de la nuit…là, planté en plein milieu de nulle part et nous au même endroit mais pas au même moment, fort heureusement.  

La récompense supplémentaire à cette descente des plus difficiles ce sont les panoramas sortis de films à grands budgets: des vallées accidentées, des lacs se jetant en cascade dans le vide, des prairies vertes et vallonnées stoppées net par des falaises où se suspend un lac qui miroite les lumières du soleil. Nous avons le souffle coupé. Ce qui est sûr c’est que si vous recevez une carte postale de cet endroit, jamais vous ne penserez qu’il s’agit du Kenya!

A 9 heures du matin, nous cumulons déjà 6h00 de marche et nos genoux, notre ventre et notre corps tout entier commence à flancher. C’est le moment de la pause petit déjeuner. Anthony est à un stade de fatigue où même le porridge tiède passe bien… 

Nous reprenons la route qui descend, nous en avons pour encore 15 km. Ca va être une longue journée. Nous sommes tantôt en plein soleil et la température grimpe, tantôt littéralement avalés par les nuages et nous perdons une dizaine de degrés. La végétation commence, peu à peu à s'imposer jusqu'à recouvrir chaque centimetre carré. La faune plus variée, les torrents plus gros. La fin de la randonnée est interminable.

Nous prenons le reste d'énergie afin d'arriver plus vite à notre dernier chalet. Castol nous promet une douche chaude à la fin de cette dernière étape. A ce prix là, on peut faire le dernier effort. Nous arrivons alors devant un dernier paysage qui ressemble bien plus au décors de "Raison et Sentiments" que celui de "Out of Africa". Notre gîte est littéralement englobé dans le brouillard. Il y fait froid et humide mais nous pouvons regarder le chemin apaisement. Nous n'avons toujours aucun réseau mais nous sommes trop fatigués pour savoir si nous pourrions rassurer quelqu'un. Le soir, au coin du feu, nous regardons se consumer les stères de bois en silence. Réalisant comme nous ne sommes pas grand chose face à cette montagne. Nous comprenons à quel point nous sommes tout petit face à l'immense dame nature qui aurait pu nous avaler tout cru sans Castol et son équipe. Nous n'avons fait que traverser la montagne, mais la montagne reste.  


Conclusion de ces quatre journées. Sur le total des trois jours, nous avons cumulé 4105m d’ascension et 3279m de descente. 19h30 de marche et 45 km. Des centaines de photos et une expérience plus qu'inoubliable. 


Si on a souffert? Oui. Si vous demandez à Salvatore où il a eu mal il vous répondra très succinctement:

" Bon, on commence par quoi? C'est le chantier sur mon corps. J'ai l'impression d'avoir eu une histoire d'amour avec un tracto-pelles. La montée a bousillé mes mollets comme si on vous les brûlait. Mais quand vous êtes tout au dessus, vous pouvez pas reculer! Faut tout de même descendre du coup autant finir la jambe, c'est comme chez l'esthéticienne. Et hop, c'est les cuisses qui ramassent...Les fesses aussi ramassent. Visiblement elles ont décidé de ne faire qu'un muscle avec la cuisse. Ce qui m'offre aujourd'hui la capacité de marcher comme un cow-boy qui a fait la ruée vers l'or... mais en un jour. Sur mes pieds j'ai tellement de cloches que je peux jouer l'Ave Maria aux prochaines vêpres à Lourdes. De toute façon c'est comme les martyrs, plus la douleur est forte, au plus leur âme s'élève. Puis j'ai tout d'un saint quand j'y pense: mes lèvres, quand je souris, je perds tellement de peau avec le froid que les gens m'offrent des dons pour la fondation père Damien. J'ai dû laisser mes genoux entre les 5000 et 4000 mètres ou les échanger contre des cailloux pour aller plus vite, finalement, pourquoi s'encombrer de toutes ces articulations quand ont peut avoir la vie rêvée d'un bonhomme en mousse? Parce que les chevilles c'est pareille. Les bâtons m'ont aidé oui...les lanières m'ont surtout permis d'avoir les poignets d'une adolescente gothique en plein trip hardcore métal. Par contre, attention, j'ai quand même gagné 4 cm de cou. Pas parce que j'ai grandi, hein! Mais parce qu'avec le sac j'ai les épaules au niveau de la cage thoracique. On dirait E.T., tu me files un sweet à capuche rouge et un vélo et on m'engage dans les studios pour remplacer la marionnette. Puis avec mes doigts congelés j'ai perdu la sensibilité donc si on me remplaçait les bouts inutiles par des lampes torches, ça pourrait toujours servir. Quant à ma rate, si je vous dis qu'elle se dilate vous croirez que c'est pour la chanson mais non... littéralement, je pense qu'à 5000 mètres elle s'est dit "merde" elle a pété puis rendu l'âme. Moins d'oxygène, j'ai des globules rouges sur le bord de me sortir par les oreilles. Le plus génial c'est la croûte qui vous enveloppe le nez. Ca c'est... glamour. Au début on se dit que c'est de l'humidité et puis on touche et c'est de la muqueuse collée. Ça vous arrache un peu la peau quand vous cherchez à grater. Mais une fois que ça sèche, ça vous colmate du carrelage à la vertical ce truc! Bref, c'est pas que j'ai mal vécu l'affaire, je suis juste un peu sorti de la zone de confort."

Anthony lui dira: « c’était dur, mais c’était wahou »



NB si vous voulez vous lancer dans l’aventure il est inévitable de faire confiance à un guide et une équipe de porteurs et un cuisinier. A cette altitude, ce n’est pas simplement du confort qui vous permet de mieux profiter du trek, c’est vital: certains endroits sont inaccessibles si on est trop chargés, les chemins ne sont pas toujours visibles. Voici les renseignements sur Castol et son équipe qui ont été supers pour nous. Comme toujours, veillez à bien vous renseigner sur les pourboires avant.


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